Salut c’est Nemo et vous êtes bien sur Music Sounds Better With Us, la plateforme qui vous raconte les petites et les grandes histoires de la musique. En ce mois de mars, voici un deuxième épisode où je vous parle d’un groupe légendaire à tendance punk noise rock alternatif, c’est Sonic Youth.
Après avoir évoqué Judgment Night, la fusion rap / rock et un clash avec LL Cool J, je vais vous parler dessin punk, label do it yourself et meurtres en série. MSBWU c’est des histoires écrites, un podcast mais c’est surtout une boutique en ligne où vous retrouvez tous les vêtements, accessoires, figurines et pièces de collection associés au sujet dont je vous parle. Concernant Sonic Youth, il s’agit d’une superbe série de vestes, tee-shirts, chemises et hoodies de la marque californienne Pleasures en collaboration avec le groupe.
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Il y a des superbes pièces, je vous recommande d’aller voir ça. Et à côté de cette sélection, nous vous proposons les albums en vinyles neufs de quasiment toute la discographie de Sonic Youth, notamment celui dont on va parler dans cet épisode, Goo sorti en 1990. Car cette fois-ci, on va parler de l’art dans le punk hardcore, de comics d’épouvante, de label indépendant californien, de vieilles radios de la deuxième guerre mondiale, de Black Flag, et des tueurs en série les plus célèbres d’Angleterre. Oui, cet article va finir en mode Affaires Sensibles, Faites entrer l’accusé, car je sais que vous adorez ça.
Dans l’épisode précédent, je vous parlais de “Kool Thing”, le morceau proto-rap noise de Sonic Youth, une sorte de réponse à la misogynie et au manque d’ouverture de LL Cool J. Ce morceau iconique est extrait de l’album Goo sorti en 1990 qui va marquer le tournant plus mainstream du groupe. Enfin, mainstream, disons juste que la structure des morceaux est un peu plus simple et que le grand public s’intéresse plus largement au travail du groupe grâce à l’engouement mondial pour le grunge via la bande à Kurt Cobain bien entendu.
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Mais en plus de la musique, c’est aussi un visuel, une image qui va rester en tête quand on parle de Sonic Youth maintenant, celle de la pochette de l’album. La pochette de Goo est un dessin en noir et blanc style BD où l’on voit un homme et une femme portant des lunettes de soleil, la femme fumant une cigarette. Autour d’eux, des textes écrits en mode comics intègrent parfaitement le visuel dans la pop culture du moment. Forcément, ça me parle, le côté bd américaine indé m’attire, j’adore tout de suite le traitement. Et je ne suis pas le seul. Cette pochette devient vite une référence ultime, reprise sur des milliers de supports, t-shirts, hoodies, skateboards, sacs, mugs et j’en passe. Elle représente vraiment l’énergie indépendante et forte du début des années 1990 et fait partie des visuels les plus parodiés, repris avec les têtes de Rick & Morty, des kids de Stranger Things ou encore du duo de Breaking Bad.
C’est fou à quel point une mise en image peut rentrer totalement dans la tête des gens et devenir une référence de la pop culture et à côté de ça, faire disparaître peu à peu son origine. Je pense que beaucoup de personnes qui portent ces t-shirts Rick & Morty stylisés Goo n’ont que peu d’informations sur Sonic Youth ou même l’élaboration de cette pochette. Ce n’est pas un problème en soit, c’est même ce qui fait qu’une pièce devient vraiment iconique : quand elle est reprise par des gens qui n’en ont plus grand chose à faire de son origine mais qui l’utilise pour ce qu’elle représente.
C’est le cas avec la jeune génération qui porte fièrement des t-shirts Nirvana, l’impact musical n’est plus le même mais la transgression reste actuelle. C’est pareil pour cette pochette de GOO mais plus je me suis intéressé à ce qui se cachait vraiment derrière, plus j’ai trouvé l’histoire passionnante. Et je me devais bien sûr de vous en faire part ici, vous qui m’écoutez, tous fans d’histoires rocambolesques et de ponts entre fiction et réalité, entre cinéma, musique et bd. Vous n’allez pas être déçu du voyage, allons-y.
Après quelques recherches, je découvre que la pochette est signée Raymond Pettibon, de son vrai nom Raymond Ginn, et que c’est un des plus grands artistes contemporains américains depuis les années 1970. Et ses premières armes, il les fait avec son frère Greg Ginn en créant un des groupes les plus influents de la musique rock et tout l’univers qui va avec. Mais avant de raconter ça, petit retour en arrière : Au milieu des années 1960 en Californie, Greg Ginn a 12 ans, c’est un petit génie de l’électronique et il a une passion, la radio. Il crée sa propre radio pirate nommée WB6ZNM et commence à développer un petit business de matériel radio en récupérant des surplus datant de la seconde guerre mondiale et en le remettant au goût du jour pour les radio amateurs. Il nomme alors son petit commerce Solid State Tuners, SST.
Le drapeau noir
10 ans plus tard, Greg Ginn alors dans sa vingtaine se lance dans le punk. Inspiré par les Ramones et les Stooges, il monte un groupe où il est leader et compositeur principal. Le groupe s’appelle Panic et Greg y intègre son frère Raymond dont il est très proche. Raymond joue de la basse. Mais problème, après quelques répétitions et moments plus sérieux, Greg et Raymond découvrent qu’il existe déjà un groupe qui s’appelle Panic. La tuile. C’est là que Raymond va avoir une illumination qui va changer la face de la musique, il propose à son frère Greg le nom Black Flag. Et il propose même une illustration avec, un logo, ces fameuses quatre barres noires représentant un drapeau au vent. Le drapeau noir, c’est l’anarchie, le parfait symbole pour Raymond et Greg Ginn pour leur groupe qui va devenir le premier vrai groupe de Punk Hardcore Californien.
C’est à cette époque que Raymond arrête la basse (il n’était pas vraiment bon) et commence à se consacrer au dessin, à l’illustration, tout en changeant de nom et prenant l’alias Raymond Pettibon, un alias que lui donnait son père quand il était petit. Raymond va réaliser une grande partie des pochettes, visuels, flyers, t-shirts du groupe Black Flag mais aussi du label que son frère Greg développe à côté, SST Records. Oui souvenez-vous, les Solid State Tuners, Greg a repris son business de radio pour en faire en un label indépendant de punk avec une seule directive : Do It Yourself, Fais le toi-même.
Black Flag et SST Records deviennent vite les entités les plus influentes de Californie, les illustrations de Raymond mélangeant comics horrifiques et dessin de presse au fusain entrent durablement dans l’iconographie du punk, tout le monde veut sonner comme Black Flag, tout le monde veut signer sur SST Records, tout le monde veut un visuel à la Raymond. Les deux frères influencent le monde. Et Black Flag devient plus grand que jamais quand un nouveau chanteur arrive au début des années 1980 : Henry Rollins. Mais ce n’est plus notre sujet. On en parlera peut-être dans un autre épisode.
Petit bond en avant (comme Raymond), retour sur Sonic Youth au milieu des années 1980. Le groupe lancé par Kim Gordon, Thurston Moore et Lee Ranaldo à New York est de plus en plus connu pour son rock alternatif aux guitares saturées et à la structure de morceaux compliqués. Sonic Youth est en pleine “No Wave” mais une de leurs références principales, c’est le mouvement punk hardcore californien, donc Black Flag et le label SST Records de Greg Ginn devenu une véritable machine du Do It Yourself en signant notamment les groupes Minutemen et Husker Du.
Renaissance de l'esprit punk
Mais au milieu des années 1980, c’est la débandade. Greg est un visionnaire mais niveau gestion, c’est la cata. Henry Rollins quitte Black Flag et le groupe split. Minutemen s’arrêtent suite au décès du guitariste dans un accident de voiture. Husker Du devient le seul groupe viable du label donc Greg souhaite signer de nouveaux talents et ça sera Bad Brains, le groupe multiculturel de Washington DC avec leur album légendaire I Against I, les stars du rock indé Dinosaur Jr et Sonic Youth donc. Les rumeurs disent que Greg a signé Sonic Youth pour avoir Dinosaur Jr mais bon, ça y est Sonic Youth sont sur SST Records alors au pic de sa popularité.
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Sonic Youth sort ses albums EVOL et Sister sur SST Records, des disques importants pour le groupe et pour la scène rock indé. Mais ça ne se passe pas génial, le groupe est vite déçu du traitement de ses albums et de l’argent qu’ils génèrent. Ils partent en 1988 mais continuent à être très inspirés par la façon de voir de Greg et Raymond, notamment au niveau des visuels. Donc à la fin des années 1980, quand Sonic Youth bosse sur son album GOO, ils veulent Raymond Pettibon pour faire la pochette.
Raymond est devenu depuis une petite star dans le milieu de l’art contemporain, grâce à ses dessins naïfs inspirés des comics d’épouvante et de fantastique comme ceux de EC Comics même s’il se défendra toujours de s’en être inspiré. De son côté, le style Raymond Pettibon a largement influencé de nouveaux auteurs de comics indépendants, surtout deux d’entre eux : Daniel Clowes qui va devenir une véritable star du milieu avec notamment Ghost World repris au cinéma et Jamie Hewlett qui crée le personnage le plus punk de la bd avec Tank Girl puis tout le groupe Gorillaz avec Damon Albarn de Blur. Tout a toujours un lien avec la musique. Raymond Pettibon est leur père à tous. Je pense aussi au travail de Benjamin Marra qui ressemble parfois beaucoup à l’esprit des premières pochettes de Black Flag par Raymond.
Raymond Pettibon, inspiration ultime de GOO
Bref Sonic Youth veut Raymond sur sa pochette pour garder un peu de l’esprit originel de SST Records, Black Flag, tout ça. C’est surtout Kim Gordon qui est archi fan de son travail qu’elle a découvert via SST mais aussi dans des fanzines punk qu’elle dévorait quand elle allait voir sa famille à Los Angeles. Elle adore son style à l’encre de Chine et son travail devient même carrément la ref principal de l’album qui devait s’appeler à la base Blowjob? en hommage à une caricature de Joan Crawford signée Raymond mais le label n’est pas ok. Donc Kim et sa bande décident de l’appeler GOO qui est le nom d’un personnage du court métrage Sir Drone réalisé par Raymond Pettibon en 1989. Vraiment full Raymond, Kim est à fond, elle veut absolument Raymond pour faire la pochette.
Et Raymond dit oui. Il propose ce dessin en noir et blanc entre comics et pop art avec ce couple en lunettes noires sûrement à l’arrière d’une voiture, elle fumant une cigarette. Le public a toujours pensé au départ que ce dessin représentait le duo fort du groupe, Kim Gordon et Thurston Moore. Et bien, pas du tout, du tout, c’est là que l’histoire se corse et qu’on arrive dans Faites entrer l’accusé. Le dessin de Raymond Pettibon est en fait tiré d’une photo publiée dans les tabloids anglais en 1966 pendant le plus grand procès de tueurs en série d’Angleterre. Les deux personnes sur l’illustration et donc la photo sont David Smith et Maureen Hinley, deux témoins clés des meurtres, pris sur le vif avant d’arriver au tribunal. Le côté décalé de l’image, entre nonchalance et charisme, tranche complètement avec l’environnement hardcore de l’affaire. Car il s’agit de meurtres d’enfants.
Ce qui est fou, c’est que Raymond Pettibon n’était même pas vraiment au courant du contexte avant de la reprendre pour son dessin. Il dira au magazine Spin : “J'avais ce magazine True Detective qui trainait chez moi et j'ai vu cette photo sur la 4ème de couverture. À l’époque, je ne savais pas qu’il s’agissait d’une représentation des meurtres de Moors en Angleterre. Cela n’a pas tilté parce que je n’étais pas un fan du true crime comme je le suis maintenant. Cette illustration que j’ai proposé à Sonic Youth est à peu près un fac-similé raisonnable de la couverture arrière de ce magazine et de la photo de David Smith et Maureen Hindley.” Et côté Sonic Youth, c’est pareil, le batteur Steve Shelley dira : “On ne connaissait pas tout le contexte de cette photo mais dès qu’on l’a vu, on a été subjugué par la force de l’image”.
La balade sauvage des tueurs de la lande
Parce que le contexte est horrible. Maureen qu’on voit sur la photo était la sœur de Myra Hindley. Avec son amant Ian Brady, Myra a assassiné cinq enfants et enterré leurs cadavres violentés dans la lande isolée de Saddleworth, près de Manchester. Myra et Ian se rencontrent au début des années 1960 et s’allient autour de pulsions horribles alliant nazisme, torture et exactions de la seconde guerre mondiale. Leurs discussions terribles et leurs fantasmes morbides sont abreuvés par leurs lectures et leurs interprétations des films qu’ils vont voir ensemble au cinéma. En juin 1963, ils décident de réaliser le crime parfait. Ils sont inspirés par un livre et un film, Compulsion, tiré d’une histoire vraie qui inspira aussi La Corde d'Alfred Hitchcock.
Le but : réaliser un crime sans jamais se faire prendre. Ils choisissent une première victime, Pauline Reade, 16 ans, qui va au lycée avec la sœur de Myra, la fameuse Maureen de la pochette de Sonic Youth. Pire, Pauline Reade, cette première victime des meurtriers, est alors en couple avec David Smith, l’autre personnage sur la pochette de Sonic Youth. Il sera interrogé à la suite de la disparition de Pauline mais rapidement mis hors de cause. On n’a pas trop de contexte sur ce premier meurtre et le corps ne sera malheureusement retrouvé que plus de 20 ans plus tard.
Les deux amants terribles vont vite recommencer en novembre 1963 avec cette fois-ci John Kilbride, un enfant de 12 ans, toujours dans les environs de Manchester. Ils le tuent et l’enterrent dans la Lande, la fameuse Moor. Ils font de même quelques mois plus tard avec Keith Bennett, 12 ans et Lesley Ann Donney, 10 ans. A chaque fois, ils les emmènent pour soi-disant retrouver un gant perdu au milieu de la Lande. Ils les violent, les étranglent puis les enterrent dans cette partie totalement déserte de la campagne anglaise. Pour Lesley Ann, l’enquête dévoile des détails encore plus sordides. Le couple l’a ramené dans leur maison pour la torturer, la prendre en photo et la violer avant de la tuer. Pire encore, un enregistrement audio sera retrouvé où on entend Myra et Ian commettre les pires exactions et Lesley Ann crier pitié. C’est l’escalade de l’horreur.
Le 6 octobre 1965, ils sont de nouveau en chasse pour une victime à la gare de Manchester. Ils choisissent Edward Evans, 17 ans, et le ramènent à leur maison. Mais là, un élément différent va entrer en compte. Ian Brady est devenu ami avec David Smith le mec de la pochette. Car entre temps, il s’est marié avec la sœur de Myra Hindley, Maureen, la meuf de la pochette. Ils discutent beaucoup ensemble et Brady veut intégrer David dans leurs horribles meurtres. Myra a peur que ça dégénère mais elle appelle tout de même David pour qu’il vienne boire un verre. Et David vient alors, pensant passer une soirée avec sa belle soeur et son beau frère mais finit témoin d’un meurtre sanguinaire à la hache. Ian et Myra lui demandent de les débarrasser du corps. David est complètement perdu. En rentrant chez lui, il dit tout à Maureen et décide d’appeler la police, toujours paniqué par la réaction possible de Ian Brady et Myra Hinley dont ils découvrent les gestes insensés.
La police prend sa déposition et débarque au domicile de Ian et Myra. Il découvre le cadavre d’Edward Evans dans une chambre puis de nombreuses preuves des autres meurtres, des photos, des cahiers, la bande audio dont je parlais tout à l’heure. Toujours plus scabreux, il y a des mises en scène où ils se prennent en photo avec leur chien sur les lieux des tombes dans la Lande des mois après les faits. C’est horrible, c’est macabre mais c’est terminé. Myra et Ian deviennent la vision de l’horreur version anglaise, c’est la fin d’une ruée vers le sang qui alimente les journaux et les émissions spécialisées pendant des décennies.
Une dynastie de l'horreur résumée dans une pochette
C’est fini mais pas pour David et Maureen, notre couple de la pochette de Sonic Youth. Cette histoire va totalement les ravager. Harcelés par la population de Manchester qui considèrent qu’ils font leur beurre sur les meurtres, le couple doit quitter la région et faire face à de nombreuses attaques. David Smith a carrément poignardé un homme en 1969, de son point de vue à cause de toute cette affaire et passera 3 ans en prison. Plus tard, il sera accusé du meurtre de son père. Bref, ça reste un personnage très étrange. Sa non implication dans les meurtres sera toujours remise en cause jusqu’en 1987 où Myra Hindley dira toute la vérité et David n’était jamais là.
Les péripéties entre le couple David et Maureen se multiplient, ils se séparent, se déchirent, se battent pour la garde des enfants, le tout rendant cette photo et donc cette illustration de l’album encore plus étrange. On est très très loin des reprises parodiques avec Angelina Jolie et Brad Pitt, Seinfeld ou Rick et Morty. Encore une fois, la pop culture via le punk hardcore et les illustrations Do It Yourself a transformé une horrible tragédie en un objet divertissant, un des premiers memes avant le développement d’Internet.
Et cette histoire de mélange complet, vous la retrouvez sur notre boutique Music Sounds Better With Us avec la collection Pleasures x Sonic Youth qui reprend des visuels de nombreux moments cultes du groupe. Vous pouvez retrouver aussi les albums GOO en vinyle neuf avec sa pochette qui n’a plus de secrets pour vous maintenant ainsi que les albums EVOL et Sister sortis chez le fameux SST Records, chez nous dans des superbes éditions. Vous pouvez retrouver aussi des cassettes et des disques de Black Flag, des objets illustrés par Raymond Pettibon et des films, des livres sur les Moors Murders. Car c’est aussi ça l’histoire de Music Sounds Better With Us, la passion à travers les multiples références, les objets, les disques, les souvenirs, à très bientôt pour un nouvel épisode.