Pour ce deuxième épisode, on décortique le début et la fin de l'âge d'or du rap français dans les années 90 avec l'avénement de grandes équipes comme La Cliqua, Time Bomb, la Fonky Family ou la Mafia K1Fry.
MSBWU raconte la petite histoire du rap français pour les kids. Ce podcast en 4 épisodes accompagne notre livre illustré Rap Coloriage. Nous allons retracer ensemble toutes les péripéties et les aventures du rap en France de 1984 à nos jours. Le petit auditeur peut colorier chaque rappeur et chaque accessoire dont on parle pendant l'écoute. Une histoire passionnante de 3 à 103 ans. C'est parti !
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Dans les années 1990, le rap se transforme aux États-Unis grâce à une nouvelle technologie : le sampling. Avec une machine à michemin entre un petit ordinateur et un piano synthétiseur, le rap se nourrit des autres musiques en reprenant des échantillons de disques poussiéreux trouvés dans les brocantes. On entend ainsi du jazz, de la soul, de la funk et même du rock dans les albums des rappeurs comme Nas, De La Soul, Mobb Deep ou Snoop Dogg.
En plus de la musique, ces rappeurs travaillent aussi leur écriture, posant des rimes plus compliquées, racontant des histoires plus imagées et profondes. Ils vont influencer énormément la France. C’est surtout le groupe tentaculaire Wu-Tang Clan qui va lancer une nouvelle mouvance dans le rap français, celle du collectif. Des équipes très larges avec de nombreux membres vont prendre le devant de la scène. Ces équipes ont des noms codés comme par exemple La Cliqua.
Dans La Cliqua, le puncheur Rocca lance les mots comme des fléchettes avec Daddy Lord C, Raphaël ou Kohndo à ses côtés. On dirait qu’il utilise une sarbacane, Tous ensemble, les rappeurs de La Cliqua ramènent l’esprit du rap de New York dans les rues de la capitale française. Ils sont connus pour faire des freestyles improvisés enchaînant les uns après les autres. Leur style est conçu pour durer.
Dans son coin, l’impertinent Fabe évolue dans l’ombre avant de lancer un autre grand groupe de l’époque, la Scred Connexion. Fabe est à la fois un rappeur technique et versatile avec une écriture simple pleine de rimes riches et de mots vrais. Le tout toujours en discrétion, il est à part dans le rap français.
Fabe est un habitué des freestyles sur mixtapes. Organisées par des DJs comme Cut Killer ou DJ Poska, ces cassettes audio mixées dans leurs chambres ou des studios de fortune s’échangent de main à main, en direct d’un coffre de voiture ou dans les boutiques spécialisées. Ces mixtapes inondent les fans de rap avec des freestyles devenus mythiques. Quelques années plus tard, ces cassettes se transforment en compilations plus professionnelles pour découvrir plein de nouveaux artistes. C’est le cas avec Hostile, Première Classe ou Sad Hill. Et toutes les énormes équipes se retrouvent dessus, en groupe ou en solo.
Sur ces compilations, on retrouve des rappeurs qui viennent de banlieue parisienne, un peu plus éloignés du centre-ville. C’est le cas du département 94 où le percutant Kery James rencontre l’éclectique Dj Mehdi. Ensemble ils deviennent les moteurs d’un rap réaliste et politique. Ils forment Ideal J. Pendant plusieurs années, ils écument les scènes ouvertes et concerts avant de s’installer dans un univers indépendant et sans artifice au côté d’autres grandes équipes comme Expression Direkt que tout le monde appelle Express D ou encore Mysta D et Abuz de D Abuz System. Ce rap de proximité est une nouvelle façon de raconter la vie en banlieue au milieu des années 1990, parfois très loin du Hip Hop et surtout très loin du glamour de la ville lumière, Paris.
Autre grande équipe née à cette époque derrière les rugueux Ministère AMER, c’est Le Secteur Ä, lui aussi peu éclairée par la ville lumière. Issu du département 95, ils s'agrandissent et recrutent les carrés Lino et Calbo d’Ärsenik ainsi que le taquin Doc Gynéco. Ça leur donne un tout nouveau souffle dans l’esprit du label Death Row de Dr.Dre, Snoop Dogg et 2Pac en Californie. Au milieu des années 1990, les radios sont obligées de passer au moins 40% de musique francophone, c’est la loi. Elles s’intéressent alors plus largement au rap français. C’est surtout le cas de Skyrock qui va offrir une plus grande exposition aux rappeurs. Alors qu’ils s’appellent Sky-”rock”, c’est ironique. Et c’est le Secteur Ä qui va en profiter énormément. Les rugueux Stomy Bugsy et Passi s'adoucissent un petit peu, le taquin Doc Gynéco fait un carton avec sa première consultation et les carrés Ärsenik comme Lino ici se font une belle place avec juste quelques gouttes, c’est une véritable affaire de famille.
Les plus gros techniciens sont dans l’équipe Time Bomb avec les dangereux Booba et Ali du groupe Lunatic, les génies X-Men ou encore le mélancolique Oxmo Puccino. Ils sont tous très forts en freestyle et deviennent connus pour leur passage sur la radio Générations 88.2FM. Leurs freeestyles sont alors plus connus que leurs morceaux ! Tout le monde les adore, c’est les plus modernes et les plus influents du moment.
Lunatic placent alors des morceaux sur les grosses compilations dont on parlait tout à l’heure comme Hostile. Le morceau s’appelle “Le Crime Paie” et il veut bousculer le monde du rap français, c’est complètement nouveau. Mais l’un des deux membres Booba doit aller en prison pendant 18 mois, cela stoppe quelque temps la montée du groupe promis à un avenir radieux.
A côté des Lunatic et des X-Men, c’est surtout Oxmo Puccino qui va sortir du lot de l’équipe Time Bomb avec son album Opera Puccino. Oxmo développe un style plein d’aventures, de personnages et d’action. Il raconte des histoires, on appelle ça le storytelling. Il prend une direction à part avec son morceau l’Enfant Seul qui évoque la solitude dans l’enfance. C’est une très belle chanson, si jamais tu te sens seul, toi qui écoute, n’hésite pas à en parler avec ta maman, ton papa, des amis ou des gens de ta famille. Tu trouveras toujours une oreille et une épaule pour te réconforter, ne reste jamais dans ton coin.
On en parlait tout à l’heure, Kery James et DJ Mehdi sont de plus en plus connus avec Ideal J et ils sont entourés de nombreux amis rappeurs. Ainsi ils entraînent avec eux Manu Key, Rim'k, AP, Mokobé, Karlito, Dry, OGB, Las Montana, Demon One et plein d’autres encore !. Ensemble, ils sont la Mafia K1fry. Rim K, AP et Mokobé sont les plus présents en studio. Ils sont très turbulents et facétieux, ils se font appeler 113, le numéro du batiment où ils ont passé toute leur jeunesse à Vitry-sur-scène. Grâce aux instrumentaux d’avant garde de Dj Mehdi, ils créent une musique atypique qui est le lien entre le rap et la musique électronique. Rim K et le 113 deviennent l’exception française, celle qui n’est pas uniquement inspirée par les Etats Unis. Ils sont les princes turbulents de la ville.
Mais à l’intérieur de la tentaculaire Mafia K1Fry, il y a une future étoile : c’est Rohff. Déjà pendant les grands freestyles où tous les rappeurs du groupe étaient présents, il sortait du lot par son énergie, sa hargne et son franc parler. Au tout début des années 2000, il devient la nouvelle star du rap français en mélangeant le rap de proximité d’Ideal J et Express D, les turbulences du 113 avec les productions californiennes à la Dr Dre.
De l’autre côté de la France, à Marseille, Akhenaton et IAM découvrent des jeunes effrontés comme Le Rat Luciano. Avec Sat, Don Choa et Menzo, ils forment une nouvelle génération du sud de la France nommée La Fonky Family. Leur producteur Pone va ouvrir de nouveaux horizons musicaux pendant que chaque rappeur donne sa touche spéciale. Le rap français s’étend de plus en plus sur le territoire.
Mais si on revient dans la banlieue de Paris, cette fois-ci dans le département 92, une équipe a aussi beaucoup influencé le rap des années 90 jusqu’à presque créer une école de rap français, c’est Zoxea et les Sages Poètes de la Rue. Ils ont été découverts par MC Solaar et son producteur Jimmy Jay, ça leur a donné beaucoup d’exposition. Avec Dany Dan et Melopheelo, Zoxea entraîne les plus jeunes de leur entourage nommés L.I.M., Mala, les Lunatic qu’on a vu tout à l’heure, parti chez Time Bomb mais aussi Sir Doum’s ou encore Salif dans leur collectif Beat 2 Boul. Un style particulier du 92 s’infuse alors durablement dans le rap français grâce à eux.
A la fin des années 90, les pionniers IAM et NTM rencontrent la consécration. Le mélancolique Oxmo Puccino, les turbulents 113 et les effrontés Fonky Family deviennent des stars. Mais le milieu du rap se plaint de la tournure commerciale que donne au rap la radio Skyrock. Certains choisissent un autre chemin loin des ondes, celui de l’indépendance. C’est le cas des dangereux Lunatic qui viennent de se retrouver ou des intransigeants La Rumeur. Le rap français est à son plus haut niveau mais il commence à se fracturer. C’est le début et déjà la fin d’un âge d’or.
Mais ça, on en parlera plus longuement au prochain épisode.
La petite histoire du rap français est un podcast produit par Music Sounds Better With Us. Il est écrit et raconté par Aurélien Chapuis alias Le Captain Nemo