Sonic Youth renaît grâce au grunge et au rap

Sonic Youth renaît grâce au grunge et au rap

Salut c’est Nemo et vous êtes bien sur Music Sounds Better With Us, la plateforme qui vous raconte les petites et les grandes histoires de la musique. Après notre série consacrée au groupe N.E.R.D, au Neptunes, au label Star Trak et à Pharrell Williams, voici un épisode où je vais vous parler des légendes du punk noise rock alternatif Sonic Youth. Et je vais vous en parler en passant par la fusion rap et rock, le cinéma de genre des années 1990, la montée du grunge et même un clash avec LL Cool J. 

Je vais donc vous expliquer comment j’ai vraiment découvert Sonic Youth, quels ont été les points d’accroche pour moi, le cheminement logique qui m’a intéressé à la deuxième partie de carrière du groupe de Kim Gordon, Thurston Moore et Lee Ranaldo. Et comme par hasard, y’a un peu de rap dedans. Allez, Sonic Youth dans MSBWU, c’est parti.

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J’ai passé mes années collège puis lycée totalement passionné par la musique mais avec une schizophrénie importante. A l’époque, il existait des clans musicaux où chaque humain était défini par ce qu’il écoutait, j’étais entre deux eaux. J’écoutais énormément de métal, hardcore, punk mais j’étais aussi grand passionné de rap. Et franchement à l’époque, c’était deux milieux qui ne se parlaient pas vraiment, en tout cas dans les groupes de ceux qui écoutaient ces musiques.

Si t’écoutais du rap, tu ne pouvais pas vraiment kiffer les clips de Metallica, si tu étais un grand fan de métal, tu ne pouvais pas écouter MC Solaar tranquille dans le bus. C’est assez fou de voir comment maintenant tout est extrêmement mélangé dans tous les sens alors que dans les années 1980 et 1990 les mouvements musicaux étaient très cloisonnés. Mais au fond, je pense que c’était beaucoup de postures et que pas mal des kids comme moi ont évolué de la même façon, avec Slayer d’un côté et Wu-Tang de l’autre.

Je vous en parlais dans l’épisode sur la culture skate et N.E.R.D., j’ai longtemps cherché le groupe qui arriverait à relier ces deux parties de moi, l’énergie du punk hardcore et la puissance du rap. Quelques groupes faisaient le lien, je pense notamment à la vision de Rick Rubin pour les Beastie Boys ou Run DMC mais aussi à Public Enemy, toujours sur l’impulsion de Rick qui sample Slayer sur “She Watch Channel Zero” puis en 1990 remixe son “Bring The Noise” avec le groupe Anthrax, un autre fleuron du Trash Metal avec Metallica, Slayer et Megadeth. A l’époque, Public Enemy est signé sur Def Jam, le label de Rick Rubin et Rick Rubin est producteur des albums de Slayer à cette époque, le lien rap hardcore et trash metal se maintient. 

Il y a aussi des groupes et des artistes qui avaient une image très sombre avec des crânes ou des cimetières qui se calent bien avec le patern Heavy Metal. Le groupe qui relie le plus les deux scènes à cette époque, c’est sûrement Cypress Hill. Pendant des années, Cypress Hill étaient LE groupe qui pouvaient plaire aux gars du rock, à côté de House Of Pain, de Public Enemy et des Beastie Boys, notamment très demandé en festival, quitte parfois à en devenir une caricature du groupe de rap pour les rockeurs. Totalement à tort d’ailleurs, c’est juste que l’origine plus latine du groupe lui amène des liens plus faciles avec le rock.

Le débit, l’univers, les rythmiques, il y avait beaucoup de points communs avec le Métal même dans les premiers albums de Cypress. Bien sûr, j’étais un grand fan, comme tout le monde, et on sentait entre 1992 et 1994 que le groupe commençait à avoir de plus en plus d’influence sur le monde du rap, notamment sur Ice Cube,  mais aussi celui du rock alternatif et des musiques extrêmes. C’est vraiment l’époque où ma schizophrénie musicale est au max car j’écoute autant Jazzmatazz de Guru avec Solaar que Chaos A.D. de Sepultura, autant Black Sunday de Cypress Hill que Angel Dust de Faith No More, autant Doggystyle de Snoop que l’album éponyme de Rage Against The Machine, celui qui a tout changé.

Et c’est à cette époque grâce à Cypress Hill, Slayer, House of Pain et Run DMC que je découvre la bande-son qui va régler cette fusion rap / rock et donc ma schizophrénie, c’est la BO du film Judgement Night sortie en 1993. On y retrouve absolument TOUS ces artistes, Cypress Hill, Slayer, House of Pain, Helmet, Biohazard, Onyx, Pearl Jam, Run DMC, Faith No More, Ice T. On dirait qu’ils ont pris toutes les cassettes que j’avais dans ma chambre d’ado pour en faire un bourbier juste pour moi.

Une course-poursuite dans la nuit

Mais pour parler de cette BO devenue mythique, parlons d’abord du film que tout le monde a oublié. La Nuit du Jugement en français est un thriller signé Stephen Hopkins, le réal de Freddy 5, Predator 2 ou Blown Away, très qualifié en pure action movies qui tirent vers le nanar. Le pitch est simple : Quatre potes qui ne se sont pas vu depuis longtemps essayent de se rendre à un combat de boxe dans un petit bus de luxe. Mais en voulant prendre un raccourci, ils se perdent dans le hood et sont poursuivis par une bande de dealers jusqu’au bout de la nuit car ils ont été témoin d’un meurtre. Tout se passe dans le même quartier mal famé de Chicago avec une unité de temps, une seule nuit. Bon, c’est pas vraiment un classique ce Judgement Night mais je l’ai revu pour l’occasion de ce podcast et il a vraiment tous les ingrédients d’un bon thriller d’action des années 1990 avec des dialogues crus, des scènes à suspense et gros plans et de la violence bien gratuite et inutile.

En fait, tout le charme du film passe par son casting, que des seconds couteaux de luxe : les quatre potes sont Emilio Estevez, Cuba Gooding Jr., Stephen Dorf et Jeremy Piven des années avant de devenir le Ari Gold d’Entourage. Et les interactions entre ces quatre-là, les expressions folles du visage d’Emilio, les histoires de famille, les grands gestes de Cuba quelques années avant Jerry Maguire, les changements d’attitude face au danger, à la peur, Stephen Dorf en BG chien fou, la lâcheté de Jeremy Piven, les liens qui se font et défont au fur et à mesure de la nuit, c’est vraiment le point fort du film.

Et puis, il y a en face,les méchants très méchants, où on retrouve un Dennis Leary, complètement déjanté et très 90’s. Et à ses côtés, eh bien on retrouve Everlast, le frontman du groupe House of Pain, dans son tout premier rôle au cinéma. House of Pain, comme par hasard.

Et en fait, tout vient de là. Everlast dira en interview que ce tournage était une purge, il trouvait le film nul et il avait grave envie de s’en débarrasser, il trouvait que rien n’était crédible. En plus, ils se détestaient avec le réal, bref ça n’allait pas. Everlast avait sûrement un peu raison car à sa sortie le film floppe totalement et tout le monde le trouve un peu ridicule. Perso, j’y ai trouvé beaucoup de plaisir et je pense qu’une relecture actuelle y amène un autre aspect mais bref, là n’est pas le sujet.

Tout est fusion

Car pendant le tournage, les producteurs demandent à Everlast si il a une idée pour la musique du film. Et là, Everlast repense au remix que leur a fait Butch Vig de leur morceau “Shamrocks & Shenanigans”. Butch Vig c’est le mec qui a produit l’album le plus important du début des années 1990, Nevermind de Nirvana. Et sur ce remix il arrive à allier la saturation du grunge avec le hip hop frontal de House Of Pain. Everlast est enchanté par ce remix et l’idée émerge dans sa tête que ce serait parfait comme musique pour ce film de course poursuite urgente de la nuit. 

Il parle alors de cette idée un peu folle du producteur Happy Walters, un jeune mec de 22 ans alors manager des Soul Assassins et donc de Cypress Hill et House Of Pain. Happy (j’adore ce prénom) est en train de monter son label, Immortal Records, et son délire c’est déjà de mélanger 3 contre-cultures de la musique du moment : le rock alternatif, le metal trash ou hardcore et le rap. Ces premières signatures sur le label Immortal vont totalement de ce sens avec Funkdoobiest, le troisième larron des Soul Assassins aux côtés de Cypress Hill et House of Pain, puis Volume 10 des Freestyle Fellowship, du rap indépendant technique presque free jazz et… Korn, oui le groupe phare du neo-metal.

Donc voilà, Happy a du flair et il pèse pas mal dans son délire. Et pour cette BO de Judgement Night donc, il a l’idée de croiser ces 3 cultures dans un seul disque composé uniquement de collaboration Rap / Rock. En gros, Happy veut faire le combo Run DMC / Aerosmith ou Public Enemy / Anthrax mais sur un disque entier. 

Il y met donc tout de suite ses groupes dans le projet, Cypress Hill, House of Pain, DJ Muggs leur producteur et il va à la pêche aux groupes plus rock qui seraient intéressés de faire des morceaux collaboratifs. Et un des tous premiers groupes à être intéressé par ce projet, c’est Sonic Youth. Ils répondent très vite présent et sont parmi les premiers à enregistrer avec Happy et DJ Muggs. Et j’avoue que leur collaboration avec Cypress Hill sur cette compilation BO, “I love you Mary Jane” est sûrement un des premiers que j’ai vraiment écouté de Sonic Youth.

On y retrouve les guitares alternatives quasi noise de Sonic Youth, la voix soufflée de Kim Gordon et le flow nasillard de B.Real pour une ode au cannabis, grande spécialité de Cypress Hill. J’y retrouve aussi les sonorités exactes du moment, celles de Nirvana et du grunge omniprésent. Ça, c’est encore un peu de la faute de Butch Vig qui après Nevermind s’est attelé au son de Sonic Youth sur leur album classique Dirty en 1992 et sa petite poupée en laine sur la pochette. Bref, cette connexion Sonic Youth / Cypress Hill est une vraie réussite et c’est d’ailleurs encore le morceau le plus streamée de la BO à l’heure où je vous parle.

Pourtant, la première session d’enregistrement de ce morceau ne s’est pas bien passée. DJ Muggs est un peu perdu avec tous ses instruments, il n’a jamais enregistré un groupe de sa vie. De leur côté, Kim Gordon et  Thurston Moore, les deux leaders de Sonic Youth, sont frustrés parce qu’ils ont l’impression qu’on leur a juste demandé de mettre un peu de rock dans un morceau de rap, foutre quelques guitares parci par là, bref ça marche pas. Après la session, Muggs appelle Happy et lui dit “c’est dead mec, ça marche pas”.

Mais Happy le pousse à retester quelque chose d’autre, il croit à fond à cette idée. C’est un des premiers morceaux et il veut que ça soit un marqueur fort pour pousser d’autres groupes à dire oui. Après plusieurs heures à apprivoiser les usages musicaux des deux côtés et à fumer beauuuuucoup de Mary Jane, les deux groupes commencent à se comprendre autant dans l’usage des samplers que dans celui du traitement des guitares. Le refrain posé par Kim Gordon fait la différence, tout le monde est alors content du résultat. La première brique de la compilation est une ogive.

Et ce morceau m’a amené à m’intéresser au reste de la discographie de Sonic Youth, Dirty donc où je retrouve le son grunge de Butch Vig mais aussi Goo où je découvre une première incursion dans le monde du rap qui va sûrement faire le lien avec la participation de Sonic Youth à la BO Judgment Night. En effet, le morceau le plus connu de Goo se nomme “Kool Thing”, une incursion grunge plus simple et accessible que la musique du groupe auparavant.

 

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Et pour cause, quand ils ont fait Goo, Sonic Youth n’avait qu’une ref musicale : L’album Bleach de Nirvana sorti quelques mois plus tôt. Ils voulaient que ça sonne grunge avant même que le grunge existe. C’est incroyable d’ailleurs de voir l’impact de Nirvana sur le monde de la musique dès leur premier album pourtant réalisé avec 600 dollars. L’authenticité a tout changé. Donc pour résumer, “Kool Thing” est très grunge mais ô surprise, il comporte aussi une apparition de Chuck D, le frontman de Public Enemy. Tiens tiiiiiens, il y a du rap aussi dedans en fait. Et l’histoire de ce morceau est pleine de rebondissements, c’est parti.

Quand le grunge raconte le rap

En fait, Kim Gordon, la chanteuse de Sonic Youth a toujours été mega fan de rap, notamment des productions de Rush et Def Jam, à savoir Run DMC (encore eux) et LL Cool J, produit par Rick Rubin (encore lui). Kim dira souvent en interview que l’album Radio de LL Cool J sorti en 1985 a été une vraie déflagration pour elle, sa première porte vers le rap.

En 1988, elle monte carrément avec Sonic Youth un side project alternatif chelou nommé Ciccone Youth, sorte d'hommage à Madonna, aux boîtes à rythme et au mélange disco-electro-hiphop. Ce Whitey Album bizarre part dans tous les sens mais il sample déjà des beats de Radio de LL Cool J, encore une marque d’affection de Kim et sa bande pour le célèbre rappeur. Mais tout va changer en 1989 quand le magazine Spin propose à Kim Gordon d’interviewer LL Cool J. Kim accepte et est un peu stressée de rencontrer cette star du moment qui vient de sortir son troisième album Walking with a Panther. Et ça ne se passe pas vraiment comme prévu. 

En gros, LL Cool J n’en a rien à foutre et ce que Kim penserait comme un échange se transforme en discours de star macho nul, Kim est déçu du peu d’intérêt que LL a pour le mouvement punk et le rock en général. En gros, Kim voulait lui parler des Stooges et LL répondait avec une seule ref : Bon Jovi. Bon, ça ne marche pas.

Et “Kool Thing” est une réponse à cet interview. Même si LL Cool J n’est pas cité explicitement, on retrouve des clin d’oeils à ses morceaux “I Can’t Live Without My Radio”, parle de la pochette de Walking With a Panther, reprend le gimmick de “Going Back To Cali” et en fait, Kool Thing c’est LL Cool J. Le clip est encore plus évident vu qu’il reprend les codes noir et blanc de “Going Back To Cali” ainsi que la mise en scène avec les gogo danseurs.

Et Chuck D, qui était dans le même studio que Sonic Youth pendant l’enregistrement, accepte d’intervenir dans un dialogue où il twist le nom de l’album de Public Enemy, Fear of A Black Planet en “Fear of A Female Planet”, on est sûrement sur le morceau le plus incroyable d’amour et haine envers le rap, bourrés de références, embrassant ses idéaux révolutionnaires et progressistes, rejetant son attitude misogyne et mercantile. “Kool Thing” est sûrement le plus beau morceau grunge sur le rap par un groupe pas grunge pas rap. Une fusion que je n’avais pas vu venir, Sonic Youth m’a eu là dessus. 

Pour revenir sur la BO de Judgment Night après tout ça, c’est fou en revoyant le film à quel point la musique a été peu utilisée, c’est juste des bribes de son qu’on entend dans les voitures, dans les appartements comme pour mettre une ambiance d’urgence et de danger.

 Le seul morceau bien placé dans le générique du début où De La Soul entame un “Fallin” parfait sur les petites guitares de Teenage Fanclub, reprenant l’incroyable tube “Free Fallin” de Tom Petty dont je suis un fan absolu. Mais c’est une autre histoire, pour un autre podcast. En attendant, la BO de Judgment Night a été un énorme coup marketing d’alliance entre les trois contre-cultures de la musique du début des années 1990.

Et comme beaucoup de BO à cette époque, elle a dépassé largement l’impact du film. Son incroyable mélange ouvre la porte pour l’omniprésence de Rage Against The Machine au milieu des années 90, Rage qui était d’ailleurs totalement prévu sur cette BO pour une collab avec TOOL mais aucun des deux groupes n’étaient content du morceau. On a quand même pu l’écouter des années après, et voici ce que ça donnait. 

Cette compile BO a aussi propulsé l’émergence de la fusion comme Incubus ou du neo-metal comme Korn, deux groupes lancés par le label Immortal Records d’Happy Walters, tout est logique. Et cette histoire de mélange complet, vous la retrouvez sur notre boutique Music Sounds Better With Us avec la collection Pleasures x Sonic Youth qui reprend des visuels de nombreux moments cultes du groupe. 

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Vous pouvez retrouver aussi les albums Dirty et GOO en vinyles neufs dans des superbes éditions ainsi que la fameuse BO de Judgment Night en cassette audio ainsi qu’une VHS du film. Car c’est aussi ça l’histoire de Music Sounds Better With Us, la passion à travers les multiples références, les objets, les disques, les souvenirs, à très bientôt pour un nouvel épisode.

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