"Who Shot Ya" : le basculement violent de Biggie

"Who Shot Ya" : le basculement violent de Biggie

Salut c’est Nemo et vous êtes bien sur Music Sounds Better With Us. Cet épisode est consacré à Notorious B.I.G. et comment je l’ai vraiment découvert et aimé avec un morceau brûlant, inédit, controversé et à la base dur à trouver. Morceau qui sera aussi l’origine d’un beef contre son ex-pote 2Pac. Ou peut-être pas justement, on va y revenir. Comme d’habitude, vous retrouverez sur notre boutique en ligne tous les vêtements, accessoires, figurines et pièces de collection associés, ici sur Notorious B.I.G et 2Pac notamment. On vous dit tout maintenant sur Music Sounds Better With Us, c’est parti.

Music Sounds Better With Us · Episode4 : L'histoire de "Who Shot Ya", le morceau inédit, sulfureux et brûlant de Notorious B.I.G.

En 1997, j’ai 18 ans et je suis complètement obsédé par le rap. Surtout le rap américain. Je ponce toutes les sorties, je suis très orienté Wu-Tang au début mais déviant vers Gang Starr et toutes les productions de DJ Premier puis aussi Tribe Called Quest, De La Soul, Mobb Deep, Pete Rock & CL Smooth, Redman, The Beanuts et plein d’autres.

J’étais totalement boulimique de rap. L’été 1997, je pars pour la première fois aux Etats Unis, je risque de vous en reparler souvent dans ce podcast tellement l’impact a été important sur ma vie. A ce moment-là, je n’ai qu’une idée en tête, ramener le plus de disques possible direct des States. Et je me suis pas si mal débrouillé mais on va en reparler.

Pendant cet échange de 3 semaines où j'atterris à Winchester en Virginie, je passe pas mal de temps sur MTV, BET et les chaînes de clip. A cette époque, trois clips tournent en boucle : “Hypnotize” et “Mo Money Mo Problems” de Notorious B.I.G. et “I’ll Be Missing You” de Puff Daddy qui parle de… Biggie. B.I.G. est mort il y a quelques semaines, le monde du rap américain est encore totalement en émoi, entre deuil et célébration d’une icône.

A l’époque, je ne suis pas vraiment fan du délire shiny suits de Puff Daddy et Ma$e, c’est trop tape à l’oeil, trop commercial si ça veut vraiment dire quelque chose. Je ne comprends pas l’évolution, je ne vois pas le génie de B.I.G. dans ces morceaux éparpillés. “Mo Money Mo Problems” va devenir ma madeleine de Proust de cet été béni aux USA mais je ne le sais pas encore. Là j’ai 18 ans et je veux juste écouter Killarmy, Smiff N Wessun et Jeru Tha Damaja. Je veux du Kung Fu, de la guerre et des prods boom bap. Je suis jeune.

Les Shiny Suits de Puff Daddy et Ma$e

Quand je reviens de ce voyage, je commence à animer des émissions à Radio Campus Orléans et je passe du rap, notamment mes trouvailles américaines. Cette même année, je découvre vraiment le monde du djing et du turntablism en gros, les disciplines, très créatives à l’époque, du scratch, du mix et du beat juggling en vinyle.

Entre fans à Orléans, on s’échangeait des cassettes vidéos de compétitions DMC où on voyait les meilleurs DJs du genre faire leurs routines, des présentations sous forme de show mixé avec toutes les disciplines. Un vrai délire d’initiés qui peut paraître très bizarre maintenant mais à l’époque, c’était notre monde comme les VHS de skate ou de graffiti qu’on regardait jusqu’à connaître par cœur. On est alors fan de DJs aux prouesses techniques folles comme Q-Bert, Roc Raida, Mixmaster Mike, DJ Noize ou A-Trak qui vient de gagner le championnat du monde à tout juste 15 ans.

En 1997, une VHS tourne dans notre petit milieu, celle du Summit organisé par DMC où on retrouve en démonstration sans compétition les plus grands champions des dix dernières années. Parmi les anciens, il y a le légendaire DJ Cash Money et aussi l’anglais Cutmaster Swift qui ouvre le bal. Je me souviens qu’à l’époque, le jeu était de retrouver quels disques utilisaient les DJs.

Je rappelle qu’il n’y avait pas internet, pas de Shazam ou d’accès à toute la musique du monde en un clic comme aujourd’hui. Donc on décortique chaque set, chaque routine pour trouver les disques associés. Et sur le premier set de cette VHS, celui de Cutmaster Swift, il fait un passe passe en découpant en petits bouts une instru super puissante que je ne connaissais pas et qui fait : 

C’est brut, c’est lancinant, on adore. Avec mes potes, on cherche absolument ce morceau en essayant de voir ce qui était marqué sur les disques et là j'aperçois le logo Bad Boy. Mon sang ne fait qu’un tour, je reconnais le label de Puff Daddy et des costumes brillants de l’été dernier. Je check les albums de Notorious B.I.G. à la FNAC (oui on avait toujours pas internet), aucune trace de ce morceau. Je sens qu’il y a quelque chose de sulfureux que j’ai raté, une passe que je n’ai pas comprise car trop loin ici en France pour saisir toutes les subtilités d’une lutte dont on ne capte que quelques bribes. 

A la recherche du disque perdu

A l’époque, en tant que DJ padawan, je vais une fois par mois à Paris pour faire le tour de disquaires : Urban Music, Sound Records, Gibert, Silly Melodies, Crocodisc et j’en passe. J’essaye alors de chopper les nouveautés pour les passer à la radio et m’exercer au scratch, au pass pass. Un jour dans mon passage de disquaires, je prends tous les maxis singles de Notorious B.I.G. et je cherche ce fameux morceau introuvable.

Et là, bingo, sur le maxi du remix de Big Poppa signé Jermain Dupri, je vois en face B un morceau que je ne connais pas : “Who Shot Ya”. Je demande à l’écouter et dès les premières notes de piano, je sais que c’est ça. J’entends alors pour la première fois autre chose que l’instrumental. Et le flow hyper virulent de Biggie, ses paroles hardcore, tout me plait. Je prends enfin toute la mesure et l’impact du talent de Notorious B.I.G. Là, le vendeur me dit : “Ah ouais c’est le morceau où Biggie attaque 2Pac ça, ils sont mort tous les deux à cause de ça”

A l’époque, je n’étais pas vraiment intéressé par la guerre 2Pac / Biggie. Vu que je n’écoutais pas leur musique, je ne voyais pas trop les tenants et les aboutissants de tout ça. Mais là, j’étais totalement intrigué : Ce morceau que j’ai trouvé sur une VHS de démo de DJs est la source des deux meurtres les plus importants de l’histoire du rap ? J’achète le maxi, le ramène à Orléans et deviens complètement obsessionnel sur ce morceau. Je le joue tout le temps, le passe à la radio, je le place partout dans mes mixs et m’intéresse à son histoire vraiment peu commune.

Une interlude trop violente sur un album de R&B

 Tout débute en 1993 quand Puff Daddy travaille sur My Life, le deuxième album de Mary J Blige chez Uptown Records. Après le très bon premier album What’s the 411 ? qu’ils ont travaillé ensemble, le duo Puffy / Mary est totalement en confiance pour un album plus ambitieux. Et Puff Daddy a depuis créé sa team de producteurs, les Hitmen, qui seront la colonne vertébrale de son label Bad Boy Records. Et il a envie de placer ses artistes dans tous ses projets à savoir Craig Mack et … Biggie Smalls. La grande technique de Puff Daddy sur les albums de R&B et New Jack à cette époque, c’est de faire des remixs péchus avec une petite touche plus street, un côté plus rugueux en invitant des rappeurs. 

Pour l’album de Mary J Blige, il demandent donc à ses producteurs Nashiem Myrick et Chuck Thompson de trouver un instrumental péchu en vue de faire une intro bien rap, bien véner. Et pour couronner le tout, il dit “ok il me faut cet instru pour demain, je veux faire poser du monde dessus direct”. Direct, Nash Myrick écoute plein de vinyles qu’il a chez lui avec Chuck et tombe sur un album de David Porter, Victim of the Joke?... An Opera.

La particularité de Nash Myrick ? Vraiment écouter les albums et les morceaux en entier pour trouver la petite boucle cachée que les autres producteurs ont raté. Et sur le morceau “(I’m afraid) The Masquerade is Over”, il tombe sur ce qu’il cherche au bout de près de 5 minutes d’écoute sur un morceau de 9 minutes. Il isole la boucle, il y a un dialogue dessus entre David Porter et une femme mais ça ajoute justement une force folle à la boucle. Nashiem Myrick a son instru, il la propose à Puff Daddy qui trouve que ça n'est pas encore assez patate, il appelle alors Poke des Trackmasters pour retravailler les batteries et le résultat sonne de fou.

Le sample est dingue, les batteries sont assassines et ce petit sample vocal lancinant intégré ajoute une vraie plus-value étrange. Puff annonce alors : “Ok je ramène des rappeurs, je veux Keith Murray, Biggie et LL Cool J là dessus”. Woha, l’introduction de l’album de Mary J Blige est en train de devenir un énorme morceau rap de kickeurs. L’instru est à peine terminée que Biggie débarque et pose un premier couplet complètement fou, LL passe dans le foulée, cherche à écrire mais il n’arrive pas à finir d’écrire, il sort de la partie. Keith Murray arrive alors et il est intouchable à ce moment là, tout le monde mise sur lui, il a les meilleurs couplets en featuring du moment. Affilié au Def Squad d’Erick Sermon et Redman, c’est LE nouveau kickeur du moment. Et il pose un couplet énorme, le morceau est bouclé, c’est Biggie et Keith Murray et ça tue. J'ai retrouvé une version inédite, ça donne ça :

Mais il y a un hic. C’est TROP violent. Biggie parle de fusillade et de compétition entre dealers. C’est du rap hardcore, en premier morceau de l’album de Mary J Blige, très attendu, ça fait un peu tâche. Et surtout, ça obligerait Puff Daddy à mettre un sticker Parental Advisory Explicit Lyrics sur la pochette. Ce n’est pas possible, le morceau sort du trackliste mais Puff Daddy fait un choix qui marque son génie des affaires : il va juste placer un extrait de l’instru en introduction puis une interlude où on entend juste un bout du couplet de Keith Murray comme si le morceau passait dans une voiture. Et c’est tout !

La rumeur court que ce bout de couplet est juste un extrait d’un mastodonte, un morceau avec Keith Murray et Biggie sur une instru extra terrestre. Funkmaster Flex en parle dans son émission de radio, tout le monde en parle comme le plus gros titre du moment. Biggie voulait le placer sur son premier album solo pour contrebalancer avec ses morceaux plus pop mais Puff Daddy n’est pas d’accord, ils se disent ensemble que “Warning” est un meilleur compromis. L’album de Biggie sort, “Ready To Die” et c’est un raz de marée. Dans la foulée, l’album de May J Blige sort et c’est aussi un raz de marée. Les gens fixent sur l’interlude de Keith Murray.

Dans les semaines qui suivent, Biggie revient sur ce morceau et enregistre un deuxième couplet pour en faire un morceau complet sans Keith Murray, il veut vraiment sortir ce morceau et pousse Puff Daddy pour qu’il commence à tourner en radio ou sur les mixtapes. Là, c’est assez flou de trouver des informations sur ce qu’il s’est passé entre septembre 1994 et les premiers mois de 1995.

Le morceau commence à tourner en radio et sur les mixtapes comme beaucoup de témoins le disent mais un événement marquant va déclencher toute une légende autour de ce morceau : La fusillade des studios Quad en novembre 1994 où 2Pac se fait tirer dessus en plein Times Square alors que Biggie et Puff Daddy sont dans le studio.

Quand le morceau tourne début 1995 sous le nom “Who Shot Ya ?”, tout le monde fait le rapprochement avec les accusations de 2Pac à l’encontre de Biggie, Puff Daddy et la clique Bad Boy. Je vous incite à écouter l’épisode 2 de notre podcast pour plus d’historique autour de tout ça. Mais Biggie et Puff Daddy se défendront toujours : ce morceau n’a pas été écrit pour 2Pac, il était déjà là, il devait sortir avant la fusillade. Pourtant, sa sortie quelques semaines après l’événement va mettre le feu aux poudres. Alors incarcéré, 2Pac fulmine jusqu’à sortir quelques mois plus tard le très explicite “Hit’em Up” où toute la côte est en prend pour son grade. Pour 2Pac, tout commence avec “Who Shot Ya”, la provocation ultime.

Pourtant “Who Shot Ya” a un autre impact, à retardement sur moi bien sûr, mais aussi dans le rap quand il tourne au début de l’année 1995 avant toute sortie officielle. C’est d’ailleurs la dernière claque musicale d’un autre rappeur légendaire : Jay-Z. Quand il l’entend sur une mixtape dans un voiture à Harlem avec son collègue Biggs, Jay-Z se dit que Biggie est intouchable. Ses schémas de rimes, son énergie, son flow, tout a choqué le monde du rap en 1995, y compris Jay-Z qui s’est dit alors qu’il fallait qu’il monte d’un level pour son premier album solo, Reasonable Doubt.

La compétition saines entre les deux rappeurs commence, ils allaient devenir les meilleurs amis du monde. Pour la petite histoire, le dernier morceau que Biggie a écouter avant son meurtre était un morceau bien street de Jay-Z, “Street Is Watching”.

Biggie dit alors à son entourage que le niveau est très haut et que ça lui donne envie de rapper, d’écrire des rimes de fou. Quelques heures avant sa mort, “Street Is Watching” a eu le même impact sur lui que “Who Shot Ya” sur son pote Jay-Z deux ans auparavant. Encore un signe que ces deux morceaux sont importants à bien des niveaux.

“Who Shot Ya” sort officiellement sur le maxi du remix de Big Poppa en février 1995. C’est ce maxi que j’ai acheté qui est devenu totalement classique. Et avant la sortie de Born again en 1999, il n’a jamais été disponible autre part, il fallait avoir le single, le maxi, c’était un inédit brûlant, sûrement le plus chaud de Biggie. Il a lancé une guerre sans vraiment le vouloir (ou bien si ?), il a lancé une compétition avec de nombreux rappeurs et installé Biggie dans son personnage de rappeur gangsta, violent, technique, sans pitié et sincère.

Ça reste à ce jour mon morceau préféré de Notorious B.I.G., découvert par hasard sur une VHS de DJ. Et le fait que ce morceau si atypique qui aurait pu être un featuring avec Keith Murray et LL Cool J, qui aurait pu juste être une interlude sur un album de Mary J Blige, qui aurait pu être LE morceau dur de Ready To Die, qui aurait pu ne jamais sortir avec son petit sample vocal impossible à enlever, a fini par être juste un des plus gros classiques du rap américain et une vraie page entière de l’histoire de la pop culture.

Et cette histoire vous la retrouvez sur notre boutique Music Sounds Better With US avec le maxi original de Big Poppa remix où apparaît le morceau, la figurine Biggie en costume blanc, les chaussettes Biggie et aussi les disques de 2Pac, son meilleur ennemi. C’est aussi ça l’histoire de Music Sounds Better With Us, la passion à travers les histoires, les objets, les disques, les souvenirs, à très bientôt pour un nouvel épisode.

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