L'histoire du label Sub Pop et des premiers pas de Nirvana

L'histoire du label Sub Pop et des premiers pas de Nirvana

Après notre épisode consacré au Smiley et au merch du début des années 90, on reste sur notre spéciale Grunge et Nirvana avec un épisode qui creuse spécifiquement la création de cette scène de Seattle. On va donc parler de l'avènement de Mudhoney, de Pearl Jam, de Soundgarden et surtout du label Sub Pop. Et on va relier tout ça avec le premier album de Nirvana, “Bleach”, ainsi que le film qui va sublimer mais aussi mettre un point final à cette époque. La naissance et la mort du Grunge, encore un large programme. Enjoy !

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Bruce est un jeune passionné de musique qui s’installe à Olympia, petite ville dans l'État de Washington, pourtant sa capitale avec seulement 50 000 habitants. Olympia est à une centaine de kilomètres de Seattle, le poumon du coin. Mais à Olympia, il y a une grosse université et Bruce commence à prendre ses aises sur la radio universitaire nommée KAOS FM. Il y développe une émission spécialisée en punk, new wave et rock indé qu’il va appeler Subterranean Pop, la Pop souterraine, une programmation 100% underground et indépendante. L’émission commence à se faire connaître dans la région et Bruce se dit alors qu’il pourrait en faire une déclinaison papier. A la base, c’est seulement parce que Bruce a besoin de valider des UVs s’il veut rester à la Fac donc il en fait un projet d’école. Mais il se prend très vite au jeu.


C’est la grande époque de fanzines tirés à très peu d’exemplaires, des annuaires de groupes, de salles, de lieux pour partager cette musique totalement indépendante. Un véritable réseau basé sur le Do It Yourself (Fais le toi-même) se crée à ce moment-là et Bruce veut y apporter sa touche. A Olympia, il y a un fanzine en forme d’annuaire qui sort tous les ans pour répertorier tous les groupes indépendants de la région, ça s’appelle l’OP Magazine. Sur ce modèle, Bruce décide de lancer son propre fanzine / annuaire en 1980, dans le prolongement de son émission de radio. Et il l’appelle tout simplement Subterranean Pop et il se concentre sur les groupes du nord ouest et du Midwest des US. Il devient une vraie bible pour les fans de Punk et de New Wave à travers les Etats Unis, subjugués de découvrir autant de groupes venant de coins reculés comme le Montana, l’Oregon, le Minnesota ou le Michigan.


 Le fanzine développe ainsi une réputation intransigeante, ne parlant jamais de groupes signés en major même s’ils sont archi importants pour la scène punk new wave comme The Clash, Blondie ou Gang of Four. Subterranean Pop devient vite Sub Pop pour les fans, travaillant avec des illustrateurs locaux eux aussi, avec une passion pour les scènes locales et tout en noir et blanc. Les premiers numéros sont devenus mythiques notamment parce qu’ils contiennent les premières illustrations de futures stars de la BD indé comme Linda Barry, autrice de Mes Cent Démons et Charles Burns, l’auteur de Black Hole 15 ans plus tard, tous les deux multi récompensés notamment au festival d’Angoulême. 


Pendant tout le début des années 1980, Sub Pop devient une véritable référence en musique indépendante, s’écartant parfois du Punk et du New Wave pour défricher de nouveaux horizons en chroniquant par exemple les premières sorties de Run DMC, de Metallica ou des Beastie Boys. Comme dans notre épisode du podcast sur SST, Black Flag et Raymond Petitbon, le fanzine et l’indépendance locale mènent à des aventures totales. Jusqu’ici je me sens parfaitement relié à l’histoire de Bruce, il a choisi sous terre, sous mer mais c’est la même passion et le même appétit pour l’underground. 


Et cet appétit va encore grandir en 1986 quand Bruce décide de donner encore une ramification à Sub Pop en créant Sub Pop Records, un label indépendant dans la continuité de son travail de dénicheurs, de passeurs et de chroniqueurs des milieux indés du nord des USA. Et pour marquer un grand coup, Bruce décide de lancer une compilation. En fait, depuis le deuxième numéro du fanzine Sub Pop, Bruce accompagne le papier d’une cassette avec des morceaux qu’il a découverts. Les gens qui commandent en VPC peuvent ainsi lire et écouter les découvertes de Bruce et son équipe. 


Ces cassettes comme mes mixtapes à l’époque sont des vecteurs aussi forts que des articles ou des chroniques. Et elles commencent à avoir du succès, la Sub Pop 5 s’étant écoulé à 2000 exemplaires par exemple en 1982. Mais Bruce veut passer ce côté artisanal à la vitesse supérieure. Après l’université, il s’est installé à Seattle en 1983, il a un peu lâché le fanzine pour une rubrique dans un magazine local, The Rocket. Le nom de la rubrique ? Sub Pop USA tout simplement. Avec cette position, il a plus de contacts, plus d’engouement dans Seattle même donc il décide de créer le label et de sortir une vraie première compilation, la mythique Sub Pop 100. Sortie en seulement 5000 exemplaires, cette compilation est maintenant le vrai graal des collectionneurs. Et on y retrouve d’ailleurs un morceau de Sonic Youth, encore un lien avec nos podcasts de l’hiver dernier. 


Bref la compile cartonne, le label décolle et des groupes appellent Bruce pour sortir leurs disques. Problème : Bruce a zéro thune. Il met presque un an à donner une suite à Sub Pop 100 par manque de budget. Mais cette première sortie sera très importante car c’est un EP de Green River, groupe de Seattle dont Bruce dit en promo pour définir le style : ultra-loose GRUNGE that destroyed the morals of a generation. Oui, sur la deuxième sortie du label Sub Pop, Bruce développe le terme Grunge pour définir un groupe de Seattle. Et à partir de là, tout va s'enchaîner. En 1987, un mec débarque avec une enveloppe de 20000 dollars, c’est Jonathan Poneman. Et il veut donner cette enveloppe à Bruce pour sortir le disque d’un groupe auquel il croit énormément, des mecs de Seattle nommé Soundgarden. Bruc vient de trouver son associé. Jonathan et lui quittent leur boulot et consacrent à 100% au projet Sub Pop. 


On est au début de l’année 1988 et un groupe sort son premier single chez Sub Pop, il s’agit de Mud Honey, des anciens de Green River. Et le titre est désormais un classique, “Touch Me I’m Sick”, on va en reparler plus tard. Le même jour, en aout 1988, Sub Pop sort le premier single de TAD, autre incontournable de la scène indé de Seattle. Avec ces sorties, Bruce et Jonathan continuent leur narration parfois fantoche du style musical de la scène de Seattle. Il installe le terme Grunge un peu partout pour parler de ce mélange post punk qui n’a pas encore de définition. Quelques mois plus tard, Bruce et John ont une idée assez géniale : créer un club où chaque abonné reçoit un nouveau single chaque mois, une découverte signée par Sub Pop. Et pour lancer son concept, ils choisissent un petit groupe issue de la ville d’Aberdeen, un peu plus loin dans l’Etat de Washington. Ils viennent de faire une reprise de “Love Buzz” un morceau du groupe hollandais Shocking Blue sorti en 1969. Ce premier single du Single Club de Sub Pop est signé Nirvana.


Après ce single, Nirvana est le premier groupe à signer un contrat prolongé avec Sub Pop, notamment pour un album. Ils commencent à travailler dessus dès le mois suivant leur single. Leur style est alors brutal, mélange du harcore de The Melvins, du post punk de Mudhoney (les stars du moment) et même d’un soupçon de Metal époque Black Sabbath. J’adore le son de cette époque chez Nirvana, surtout le morceau “Negative Creep”, la voix de Kurt est habitée, presque irréelle, très éloignée de ce qu’on entendra ensuite chez eux. Et ce son si brut, il est signé Jack Endino, un ingé son pas cher et bien rapide qui va produire 75 disques pour Sub Pop entre 87 et 89. Tellement pas cher que dans le livret de Bleach il est marqué qu’il a été enregistré pour 606,17 dollars. Le son du Grunge époque Sub Pop c’est lui car pour être plus rapide et encore moins cher, il traite tous les sons de la même manière ce qui donne cette particularité aux groupes de Seattle. Finalement, le Grunge, c’est ce mec.


L’album est prêt, il s’appelle Bleach et il sort en juin 1989. Nirvana tourne un peu avec, il est hyper bien reçu dans le réseau de radio indé, ils en vendent 40 000 malgré un niveau de promo pas terrible côté Sub Pop. Accaparé par les succès de Mudhoney et TAD, Bruce et Jonathan n’envoient pas tout ce qu’ils ont sur Bleach et Nirvana. Ça parait inconcevable maintenant mais c’était très difficile en 1989 de se dire que Nirvana allait être ce raz de marée pop des années 90. En attendant, Kurt est vener contre Sub Pop. En plus ils viennent de bosser avec un nouvel ingé son, Butch Vig (dont on parle dans notre épisode sur Judgment Day et Sonic Youth, encore) et la direction qu’ils prennent les enchantent. Avec Chris Novoselic, ils cherchent une échappatoire à Sub Pop.


 Après une discussion avec la manageuse d’Alice In Chains et Soundgarden Susan Silver, Kurt Cobain et Chris Novoselic décident de prospecter côté major du disque car aucun indépendant ne peut se permettre de racheter leur contrat chez Sub Pop. Et c’est Kim Gordon, la chanteuse de Sonic Youth qui leur conseille David Geffen et son label DGC. Encore un lien avec Sonic Youth et donc notre podcast ! Bref Geffen rachète le contrat chez Sub Pop et derrière, il y aura cette carrière fulgurante qui va rabattre entièrement les cartes de la pop mondiale des années 1990. Voilà comment Sub Pop a lancé les débuts de Nirvana pour au final ne jamais en connaître le succès mirobolant. Pourtant, grâce à Nevermind, In Utero et l’Unplugged, Sub Pop est resté à flot car tout le monde voulait du Nirvana, y compris ce premier album, le sans concession Bleach. Donc Bruce et Jonathan ont évité plusieurs fois la banqueroute grâce aux ventes de Bleach qui ne cessent d’augmenter, encore plus après la disparition de Kurt Cobain.


Au moment où Nirvana quitte Sub Pop, la scène locale à Seattle est en pleine explosion, des dizaines de groupes prennent un essor national, voir mondial. Il y a Mudhoney, TAD, Soundgarden, Alice In Chains qu’on a évoqué. Mais aussi d’autres comme Mother Love Bone qui se transformeront en Pearl Jam. Ils commencent presque à y avoir deux tendances : Sub Pop et pas Sub Pop. Le Grunge prend des formes multiples et chacun prend son envol, quitte à quitter Seattle et son environnement. Sub Pop va se transformer au fil des années 90, jusqu’à marquer une rupture en 1996 quand Bruce et Jonathan ne sont plus du tout sur la même longueur d’ondes. Le Grunge est un peu mort avec Kurt et Bruce quitte Sub Pop pour être plus présent avec sa famille. Jonathan fait alors un gros partenariat avec Warner, la major, le diable pour Bruce. Ils ne se parleront pas pendant 7 ans.


Mais juste avant la chute, la fin de cette période si particulière de Seattle, le Grunge va être résumé dans un film. Sorti trop tard, quand Nevermind de Nirvana et Ten de Pearl Jam avaient rendu tout trop énorme, ce film est pourtant le plus grand marqueur de cette époque. Et ce film, c’est Singles de Cameron Crowe dont on parlera dans un prochain épisode très bientot.

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